Je poursuis ma recherche sur tous les arrondis, même très partiels, que je vois dans une prospection attentive de tous les habitats de la région, en me demandant s’ils peuvent être les vestiges d’une église préromane par une analyse du bâti et une recherche en archives.
Cette recherche doit toutefois tenir compte de plusieurs facteurs :
- Ce type d’architecture n’a été appliqué que ponctuellement dans l’architecture religieuse au IX et Xème siècles en Rouergue, pas après.
- Il a été repris ensuite dans le domaine civil le plus souvent dans une proximité immédiate d’une église préromane, les exemples sont nombreux jusqu’à des périodes récentes (Le Boï) .
Pourquoi n’a-t-on pas continué en arrondi ? Question qui reste sans réponse.
Lorsque des bâtiments à angles arrondis ont été surélevés ou restaurés ils l’ont été en chaînage droit.
L’isolement de ce groupe permet aussi d’améliorer notre connaissance du patrimoine et de l’histoire locale. Je cite le cas de Conques où une construction accolée au croisillon sud de la célèbre abbatiale, jusqu’à maintenant étiquetée sacristie du XVème, présente suffisamment de caractères de notre groupe pour que l’on puisse considérer qu’il s’agit de la première église de Conques dont l’existence était connue, mais pas sa situation.
DERNIÈRES ACTUALITÉS
Le texte suivant est la reproduction d’un article paru dans le numéro 5 du bulletin de la société archéologique de Villefranche-de-Rouergue :
Cette individualisation du groupe des églises à angles arrondis permet de s’interroger sur la constatation qu’il n’y a d’exemples de cette architecture dans les bâtiments religieux que pendant cette époque chronologique et jamais après. Par contre ce vocabulaire architectural est repris dans la construction civile de proximité pendant les siècles qui suivent où toute reprise d’un angle arrondi dans le cadre d’une reconstruction se fera en chaînage droit. Il faut également remarquer qu’en Rouergue existent des églises, appartenant à la période préromane, sans angles arrondis mais avec un plan très similaire. Se pose donc le problème de la coexistence sur un même territoire réduit de 2 interprétations différentes à une même époque.
Le nombre élevé des églises (quelque soit leur état), appartenant à ce groupe en Rouergue occidental, n’est pas anodin au point que le concept d’école régionale ait été évoqué. Certains ont parlé d’architecture toulongienne, tout en mettant en question l’originalité des angles arrondis qui ne serait pas une création rouergate. Nous n’ignorons pas des exemples éloignés mais qui restent, en très grande majorité, dans la zone du grand sud ouest. C’est ainsi que l’on peut mentionner :
Cenon : dans la proche banlieue bordelaise, à l’est, l’église Saint Romain de style néogothique a été érigée en hauteur sur un ancien site gallo romain marqué par de nombreuses sépultures. Il y a une dizaine d’années des aménagements menés par la commune sous le contrôle d’une association locale, ont eu lieu visant surtout à valoriser le patrimoine pictural intérieur mais aussi les abords. Au niveau de la façade ouest ont été mis à jour des angles arrondis vestiges d’une église antérieure. Le rapport de ces découvertes, sans aucun plan, n’a été publié que par un journal local.
Séviac : situé dans la commune de Montréal-du-Gers, c’est un important site des premiers siècles de notre ère avec des vestiges importants d’une grande habitation. Lors des fouilles des années 1990 a été mise à jour une structure dont le plan et les dimensions correspondent tout à fait à nos église préromanes. Cette structure (dénommée chapelle), est constituée de petits moellons dont on doute qu’ils pourraient supporter des grandes élévations telles celles d’une église. Elle serait datée du VIIème siècle. Voir photo 1
Caunes-Minervois : au nord est de Carcassonne une abbaye, vouée à la règle de saint Benoît, s’y est établie à la fin du VIIème siècle. Il y a donc une église à cette époque qui fut ultérieurement en partie démolie pour faire place à l’édifice actuel. Les restes du chevet firent usage de crypte et leur dégagement montre la présence d’angles arrondis. L’étude du plan peut laisser penser que l’église d’origine peut entrer dans le groupe que nous avons défini. Photo 2 et 3
Saumos : petite commune à l’ouest de Bordeaux, où l’emprise gallo-romaine est forte, l’église dédiée à Saint Amand évêque de Bordeaux au Vème siècle, photo 4 est à nef unique. Le chevet a très vraisemblablement disparu, n’a pas été reconstruit et les colonnes avec des chapiteaux difficilement lisibles, sont probablement celles qui marquaient l’arc triomphal.
Saint-Martin-des-Puits : dans cette petite agglomération audoise au sud de l’abbaye de Lagrasse, l’église est dédiée à Saint Martin ce qui atteste une ancienneté certaine. Elle était en place à la fin du Xème siècle et bien sur considérablement aménagée et modifiée par la suite. Le plan photo 5 révèle la présence d’angles arrondis. Si l’on ajoute l’existence d’un arc triomphal outrepassé, on ne peut nier que l’on est en présence d’une authentique église à angles arrondis telle que nous les avons définies.
La chapelle du Mont Dardon : en Bourgogne, dans le Charolais, le site du Mont Dardon est d’une grande richesse archéologique. Il existait avant l’an mil une chapelle totalement arasée, mais, des fouilles ont retrouvé ses substructions. Si le plan est simple (pas en double boite), l’utilisation de l’arrondi pour le chevet (qui n’est pas rétréci), est manifeste. Une monnaie du IXème siècle a été trouvée dans des couches d’origines du bâtiment. Photo 6
Eze sur Mer : dans la partie la plus ancienne du village, en dessous des ruines du château, existe un bâtiment d’une grande élévation, orienté est ouest, avec un majestueux angle arrondi photo 7. Toutes les recherches en archives sont restées vaines, mais, plusieurs éléments sont à noter : les ouvertures géminées et étroites, propres à un édifice religieux, aménagées dans le support oriental, la mémoire locale qui évoque en ce lieu la présence d’une chapelle ce que corrobore une signalétique présente : domus angelorum.
Vers l’est :
Saint-Martin de Prévinquières : situé entre Villefranche et Rodez sur la rive gauche de l’Aveyron, le village est riche en demeures médiévales anciennes et son église est citée à la fin du Xème siècle dans le cartulaire de saint Léonard. Son étude a fait l’objet d’une publication complète à laquelle nous renvoyons les lecteurs intéressés (voir ci-après au chapitre monographies).
Notre-Dame de Murat : dans la commune de La Salvetat- Peyralès, sur la rive gauche du Jaoul, en contrebas des ruines du château de Roumégous, la chapelle de Murat, bien sûr remaniée à plusieurs reprises (ce qui n’a laissé qu’un seul angle arrondi), n’est certes citée qu’en 1030. On peut toutefois raisonnablement penser que la construction initiale est antérieure : plan en double boite, orientation est ouest, l’arc triomphal et le chevet sont conformes aux exigences du groupe. Dans la périphérie immédiate existe une source, jamais tarie, qui témoigne d’une fonction cultuelle comme on le constate dans bon nombre d’églises à angles arrondis. Il faut remercier l’équipe de bénévoles qui depuis des années s’est attachée au renouveau de cette église et qui a réussi son audacieuse entreprise. Photo 8
Bournazel : dans l’enceinte du château, en face de l’entrée actuelle on individualise une construction partielle avec un angle arrondi et un appareil différent qui n’a pas sa raison d’être dans la structure générale du château. Ne pourrait-il pas s’agir d’une église primitive ultérieurement englobée dans la l’édification castrale ? Photo 9
Montbazens : dans un passage étroit en dessous de la grand rue, on découvre une imposante façade avec de très beaux angles arrondis photo 10 . L’église actuelle, qui est tout près, appartient à la période romane tardive. Il en reste quelques témoignages car l’ensemble du bâtiment est postérieur. On sait qu’il existait une église antérieure, dédiée à Saint Jacques, en relation possible avec le pèlerinage. Elle aurait totalement disparue. Mais la découverte d’angles arrondis, jusque là non repérés, permet de la localiser comme ce fut le cas pour Martiel. Ici l’étude du bâti est en accord avec les critères du groupe en particulier l’orientation et les dimensions.
Vers le sud :
Courbières : commune de 12200 Monteils. Sur un promontoire élevé le domaine domine l’Aveyron entre Monteils et Najac. Les bâtiments qui le constituent sont resserrés autour d’une cour intérieure bien protégée par la structure défensive de l’ensemble. Il est difficile de préciser au premier abord la chronologie de la construction qui s’est étendue, comme bien souvent, sur plusieurs siècles. La cour intérieure est dominée à l’ouest par une construction élevée, à angles arrondis qui, au vu de ses dimensions et de quelques particularités architecturales, ne peut, raisonnablement, qu’être les restes d’une authentique église qui a précédé la construction civile ultérieure. Ce n’est pas le seul cas dans le groupe ou une chapelle initiale a été désaffectée du culte puis englobée dans une construction civile ultérieurement. Photo 11
Saint-Martial commune de Saint-Martial-Campès, dans le Tarn, tout près de Cordes. Le plan est celui d’une double boite. Les remaniements au cours des siècles ont été nombreux (façade occidentale, chapelle latérale…) au point que les chroniqueurs locaux ont attribué cette église au XIIème, XVIIème….En fait la présence d’angles arrondis a toujours été occultée de même que l’arc triomphal. La dédicace à Saint Martial, premier évêque de Limoges et grand évangélisateur des premiers siècles de la chrétienté en occident est, en outre, un gage d’une appartenance à la période préromane. Photo 12
Saint-Jammes de Bezaucelle : commune de Sorèze dans le Tarn. Aux confins des départements du Tarn et de la Haute-Garonne, dans la commune de Sorèze, la chapelle Saint-Jammes, isolée sur un promontoire à l’est de la cité, affiche des éléments préromans: angles arrondis, dimensions et orientation (sans compter la présence d’un opus spicatum), qui permettent, malgré une première citation tardive (1130), de l’intégrer au groupe défini. Le contexte archéologique qui a été mis en évidence lors des travaux de mise en valeur, plaide très largement en faveur de la période préromane. Photo13
Nettement plus au sud dans le département de l’Aude nous citerons :
Saint-André de Roubichoux : commune de Sonnac. Une nef unique laisse à voir à l’ouest des substructions à angles arrondis, vestiges certains de l’église primitive. photo 14
Notre-Dame de Cazalrenoux : cette église d’une grande élévation voit sa façade occidentale bordée de 2 angles arrondis monumentaux photo 15. A la façon dont le chevet s’insère sur la nef on peut penser qu’il y avait à l’origine des angles arrondis à ce niveau. Le chevet actuel est beaucoup plus tardif. A noter, comme dans le groupe défini, la présence d’une unique porte au flanc sud.
Dans le département voisin de l’Ariège mentionnons :
Saint-Félix de Tournegat : beaucoup de ressemblance avec la précédente : impressionnante façade occidentale à angles arrondis, porte sud murée photo 16. Mentionnée pour la première fois en 1124.
Dans le département de l’Hérault :
Loiras : commune de Le Bosc près de Lodève. La vielle église, par opposition à l’église actuelle, est un édifice complexe avec des éléments divers comme le chevet roman le clocher gothique avec gargouilles. Mais au sud on visualise un incontestable angle arrondi photo 17 et dans un mur voisin un fragment d’opus spicatum.
Vers l’ouest :
Le Boulvé : dans cette petite commune située dans la partie sud est du département du Lot, 2 édifices correspondent à notre propos. Ils relèvent de l’extension de cette architecture vers l’ouest et les contrées bordant le Lot. D’autres édifices à Pestillac, Fumel ont déjà été cités. Ici, dans le village lui-même l’église dédiée à Saint Pierre et Saint Paul photo 18 montre un imposant chevet à angles arrondis dans une église largement remaniée au fil du temps. De même, à quelques kilomètres, l’église dédiée à Saint Saturnin photo 19 dont la chronologie de la construction et des modifications et ajouts n’est pas établie.
Cazes : toujours dans le Lot, dans la commune de Puy-L’Evêque, l’église du village peut appartenir au groupe. Bien que citée tardivement par rapport aux datations que l’on reteint actuellement pour les églises du groupe, on peut, l’y introduire. Les dimensions, l’orientation le permettent. Photo 20
Bears : dans la commune d’Arcambal. En dessous de l’emplacement de l’ancien château une maison présente bien des caractères requis et son architecture n’est celle des maisons rurales de la région. Photo 21
Vers le nord :
Veuzac :Dans la toute proche banlieue de Villefranche, sur la route du pèlerinage de saint Jacques, l’église actuelle qui date de la deuxième moitié du XIXème siècle laisse voir 2 angles arrondis témoins de la construction initiale photo 22. Une étude approfondie sera publiée dans le prochain bulletin de la société archéologique de Villefranche.
Cuzac : dans le Lot dans le prolongement vers le nord de la faille de Villefranche. J.Bousquet évoque une église en ce lieu, citée dans le pagus cadurcensis bien avant l’an Mil. Ce ne peut pas être l’église actuelle pourquoi ne serait-ce pas cette construction avoisinante qui a toutes les caractéristiques voulues pour appartenir au groupe. Photo 23
Saint-Santin : dans le nord du département de l’Aveyron, ce village est une curiosité car il est à cheval sur les départements de l’Aveyron et du Cantal avec 2 églises, une dans chaque département, séparées de quelques mètres, appartenant aux siècles de la fin du Moyen Age. Mais dans le pagus ruthénicus l’existence au Xème siècle d’une église dédiée à Saint Pierre est mentionnée. Ne serait-ce pas cette construction ? photo 24
Maurs : au bas de la place où se dresse l’église paroissiale dédiée à saint Césaire, une importante construction présente des angles arrondis avec un plan en double boite, propre à l’époque préromane. Photo 25 Les proportions, l’orientation et le plan laissent à penser que l’on est en présence de la première église de Maurs.
Alvignac : en partie masqué par un contrefort, un angle arrondi est encore visible et témoigne de l’ancienneté de l’édifice photo 26 . Les rares écrits évoquent la période romane confirmée par la configuration intérieure.
Bien que totalement excentré nous mentionnerons :
Léontoing : dans le département de la Haute Loire, arrondissement de Brioude, cette petite chapelle dite chapelle des lépreux a été édifiée en contrebas d’un château médiéval. Certes, aucun document ne mentionne son existence plus en avant dans le temps. Mais là aussi l’orientation et les dimensions sont parlantes. Photo 27
Nous avons donc complété ce recensement par des nouveaux édifices qui furent ou sont des églises à A.A. Nous avons, dans notre recherche, repéré et noté un nombre non négligeable d’A.A. appartenant actuellement au domaine civil mais qui pourraient, pourquoi ne pas être le témoignage d’une ancienne église. On remarque que, très souvent, dans les lieux où a existé une église à AA, la formule de l’arrondi est reprise dans la construction civile avoisinante. Cette corrélation interroge. Il y a là bien des recherches à faire, voilà l’objectif futur.
L’attribution de ces églises à la période préromane ne fait plus aucun doute. Leur plan est dans la lignée des travaux effectués par de nombreux auteurs sur cette période, nous ne signalerons que ceux de M. Durliat et l’abbé Giry car ils font une compilation des édifices d’un département voisin, l’Hérault, très proche en matière de peuplement et de communication. Le plan en double boite le confirme dans un argumentaire pour le haut Moyen Age. Ce plan qui associe une nef rectangulaire à un chevet plat trouve, à notre avis son origine dans les débuts de la christianisation dans nos campagnes et l’instauration des paroisses rurales sans oublier qu’il existe aussi à la même époque dans l’Espagne mozarabe. L’habitat, dans les manses, devient le lieu improvisé du culte chrétien, la pratique chez soi réunissant ceux, qui, localement ont adhéré à la foi chrétienne : c’est la domus ecclesiae à l’image des premières constructions chrétiennes. Progressivement, avec la création des diocèses et l’instauration des officiants, la nécessité d’un espace réservé pour la liturgie se manifeste : ainsi apparait le chevet greffé sur la première structure. Ce modèle servira ensuite à l’édification de l’église rurale de base.
Il est envisageable, que, dans nos régions, ces structures soient en rapport avec un passé ancien, celui de l’occupation wisigothique de nos territoires, qui, même si elle a été courte dans la durée, a laissé des traces cultuelles et culturelles. Cette proposition a déjà été évoquée, par le passé, par de nombreux auteurs de référence qui n’ont pas hésité à utiliser ce terme. Pour preuve des éléments architecturaux comme les fragments d’opus spicatum l’utilisation de l’arc en gouttière (plus communément dit en trou de serrure). Le tout dans une zone géographique historiquement imprégnée de l’occupation wisigothique : Gothie, Septimanie et Occitanie. La toponymie dans toutes ces zones est très parlante.
Lors d’une campagne de bilan archéologique de l’église de Toulongergues, programmée par la DRAC en 2017, des prélèvements de mortier ont fait l’objet d’une datation scientifique. Les résultats confirment les hypothèses que nous avions formulées, à savoir le créneau de la première moitié du Xème siècle. Avec ce résultat tout devient cohérent et objectif.
Reste le problème du pourquoi des angles arrondis, car, comme l’a écrit Viollet-le-Duc dans la préface de ses entretiens sur l’architecture en 1863 chercher la raison de toute forme car toute forme a sa raison …Entre les réminiscences du passé qui sont certaines et que nous privilégions, pourquoi ce type de vocabulaire architectural est repris par les grands architectes de notre temps de Mallet-Stevens au Corbusier en passant par Rudolph Steiner et d’autres….… ?
La carte ci-jointe d’un Rouergue occidental élargi fait apparaitre les églises à A.A.
EN JAUNE : les églises dûment authentifiées
EN ROUGE : les bâtiments avec des angles arrondis dont des éléments sont en faveur d’une église ancienne
EN VERT : des angles arrondis appartenant à des bâtiments civils (relevé non exhaustif) qui apparaissent comme une simple reprise de la formule de l’arrondi